Anne-Marie CHAUVERGNE

Photographier c'est mettre sur la même ligne de mire la tête, l'œil et le cœur.

—Henri Cartier-Bresson

Je suis tombée dans la photographie dès mon plus jeune âge et je dois dire que c'était à une époque où les pixels n'avaient pas été inventés et où les grains d'argent étaient les seigneurs et maîtres des photographes. Dois-je le préciser ? Cela fait environ 50 ans…

Mon père m'a appris à observer le monde, à aimer les voyages proches ou lointains et il m'a initié au lieu mystérieux de la chambre noire. Dès le début, j'ai été passionnée par le noir & blanc. Alchimie étrange qui transforme notre vision du monde allant du noir profond au blanc pur avec une variation de gris. Tout un voyage.

J'ai donc fait mes armes dans une petite pièce sombre, sans lumière pour développer mes films. Que d'angoisses, au tout début, quand il faut faire à tâtons dans l'obscurité la révélation de son film (les photos de Robert Capa, prises lors du débarquement du 6 juin 1944, ont quasiment étaient toutes perdues à cette étape cruciale). Que de joies quand le négatif révélé est déroulé, plein de promesses photographiques à venir.
Nous sommes loin du numérique et de l'immédiateté de l'image. Après l'obscurité, c'est l'étape de la lumière rouge pour développer sur papier les négatifs amoureusement choisis. Barbotage dans les bains de révélateur et de fixateur, correctement dosés, pour faire apparaître religieusement cette image sur un papier photosensible. Diaphragme, temps d'exposition judicieusement choisis et l'image naissait dans l'humidité du laboratoire. Du négatif au positif, pendant des dizaines d'années, j'ai pratiqué ce développement en chambre noire et j'ai appris la patience et le plaisir d'attendre l'image.

Parallèlement, j'ai régulièrement exercé mon œil en regardant les images des grands maîtres de la photographie, cadrage et construction : Cartier-Bresson, Hans Silvester, Izis, Willy Ronis, Salgado, Ansel Adams, Herbert List, Larry Burrows, Depardon, Werner Bischof, Ropert Capa, William Klein, Robert Burri et tant d'autres.
Les grands maîtres de la peinture et du dessin m'ont également appris à observer et à construire mes photos. Être derrière l'objectif est une quête, une quête pleine d'incertitude, de patience et d'humanité.

Entre le nuage et le buisson je suis un œil en balade...

—Norman MacCaig

Et oui, mon amour de la photographie peut se définir comme un œil en balade sur les chemins de France et du Monde. Saisir la réalité fuyante, la beauté et la poésie des arbres, des pierres et des hommes.

Plusieurs années durant, j'ai partagé la vie d'un groupe photo. Le travail de nos expositions annuelles m'amenait à améliorer sans cesse mes tirages en noir & blanc. Au fil des années, quelques prix sont venus agrémenter mon parcours photographique. Actuellement, l'évolution du numérique et la possibilité de créer des livres ont changé mes orientations vers un travail plus personnel.

Depuis quelques années, mon œil photographique se balade et s'exerce lors des entraînements de Kendo (art martial japonais) dans les dojos. Recherche esthétique et humaine, continuité de ma propre pratique de cet art martial depuis 30 ans et de mon amour de la culture japonaise.

De l'argentique au numérique, depuis un demi-siècle, je poursuis inlassablement ma quête photographique : conserver à travers une image ma mémoire fugace, quelques rêves secrets et un imaginaire personnel.

Anne-Marie CHAUVERGNE